« Ce n’est que du parfum »

Ce n'est que du parfum - Balades Parfumées

“Ce n’est que du parfum”. Une phrase que vous avez peut-être déjà entendue, lue ou pensée ! Nous avons l’habitude d’associer l’olfaction aux émotions (souvenir d’enfance, être cher, claque olfactive). Ainsi, quand on entend cette phrase, on peut y répondre par réflexe en argumentant exclusivement sur ce terrain. 

Or, si nous nous contentons d’arguments subjectifs, nous aurons du mal à défendre la parfumerie auprès de personnes extérieures à notre sphère.

Dans cet article, je réponds à cette affirmation en employant principalement l’objectivité sans totalement exclure la subjectivité car cette dernière est l’essence même de la parfumerie.

Longévité de la parfumerie et reflet de la société

Se parfumer, un geste qui accompagne nos civilisations depuis l’Antiquité. En 2022, au moment où je rédige ces lignes, le parfum est toujours très fortement inscrit dans nos habitudes. 

Cette longévité atteste la place importante qu’occupe le parfum. Un règne pourtant rythmé par des événements qui auraient pu enterrer le secteur. Guerres, crises économiques, contestations et évolution de pensées… le parfum a survécu à ces diverses vagues.

Dans certains cas, il a même été une forme de réponse aux événements marquants : 

  • L’Heure Bleue Guerlain (1912) : Jacques Guerlain crée l’Heure Bleue dans une période incertaine où il sent la guerre arriver. Il saisit l’occasion pour en faire un parfum qui traduit ces instants de paix avant la tempête tout en le dédiant aussi à sa femme, Lily Guerlain. Capturer ce qu’il y a de plus précieux pour pouvoir y revenir quand les temps seront rudes…
Heure bleue Guerlain
  • Habanita, la reconnaissance des garçonnes (1924) : je perçois Habanita comme une validation d’une communauté qui était d’abord en marge. Cheveux courts, pantalons et jupes longilignes ou encore rejet du corset, les Garçonnes vont à l’encontre des codes de la période. Habanita leur répond avec sa particularité qui fera son succès : le premier parfum féminin avec une dose importante de vétiver. Note qui était alors plutôt répandue dans les parfums masculins. Découvrez les secrets d’Habanita ici !
  • Miss Dior, le parfum d’après-guerre (1947) : Miss Dior accompagne la collection New-Look avec une ambition : en finir avec la morosité de la période d’après-guerre. Christian Dior s’appuie sur une pyramide chyprée-florale pour diffuser ses nouvelles idées.
  • CK one, Calvin Klein (1994) : CK One invite à se détacher des dictats. Le parfum unisexe, léger voit le jour à une période où les questions de genre commencent à être challengés. On constate également une lassitude face aux différentes normes. CK One nous invite à être, tout simplement.

Que s’est-il passé depuis ?

La vague de gourmand lancée par la sortie d’Angel en 1992 par Thierry Mugler, continue à faire des ravages. Si bien que les gourmands se sont peu à peu installés dans la niche.

Un succès qui peut être interprété comme étant le reflet d’une société toujours aussi addict au sucre et qui trouve un certain réconfort dans les compositions les plus gourmandes. Des parfums comme Pink Sugar d’Aquolina (2004), Miss Dior chérie (1ère version, 2005), Love don’t be shy de Kilian (2007), La Vie est Belle de Lancome (2012), Scandal de Jean-Paul Gaultier (2017) ou Black Opium d’Yves Saint Laurent (2014) ont été très bien reçu. Certaines références figurent encore dans les meilleures ventes de diverses chaînes de distribution aujourd’hui.

On observe, dans la même période, plusieurs phénomènes qui expliquent l’état de la structure du marché du parfum aujourd’hui :

  • L’émergence des parfumeries indépendantes
  • Le retour d’anciennes maisons de parfumerie
  • Le développement des collections privées chez les marques designer
  • La parfumerie naturelle
  • L’introduction des parfums sur mesure

Les options se multiplient, les identités se précisent dans une ère où le besoin d’exprimer son individualité se fait de plus en plus sentir. À cela s’ajoute la digitalisation du secteur (créateurs de contenu, ventes d’échantillons en ligne et multiplication des partenariats). Environnement parfait, me direz-vous !

Force est de constater que le parfum a traversé les siècles et est profondément installé dans nos habitudes. Qu’il soit porté pour une occasion spéciale, chaque jour ou appliqué avant de rejoindre les bras de morphée, le parfum conserve sa place. Difficile d’imaginer un monde dans lequel on arrêterait de porter du parfum. Surtout quand on sait que la valeur du marché mondial du parfum s’élève à près de 35 milliards de dollars (2021).

Un processus créatif pas comme les autres

La création d’un parfum, c’est tout un parcours semé d’essais, d’ajustements et de créativité. Je parle bien entendu de démarche de création rigoureuse et non de pratiques simplistes qui débouchent en un temps record sur un résultat discutable.


Lors de son processus de création, le parfumeur mobilise ses compétences, son bagage olfactif et ses inspirations. Un objectif : parvenir à une composition qui respecte un certain équilibre du premier au dernier instant. Et c’est là que demeure toute la complexité car les matières premières ont chacune leur puissance. Leurs profils olfactifs s’expriment également différemment selon les associations.

Le parfumeur doit donc identifier les dosages adéquats qui vont traduire son idée initiale. Et une fois arrivé à une version satisfaisante, une question revient souvent : peut-on aller plus loin ? Voilà la complexité du métier de parfumeur.

Le règne des matières premières et ses deux faces

Pas de parfum sans matières premières. Véritables pièces maîtresses du parfum, elles sont constamment mises à l’honneur : appellation des fragrances, présence dans le storytelling, création de contenu dédié et forte présence dans l’imagerie de marque.

Jusque là, rien d’étonnant. Mettre en avant les matières premières, c’est rendre son discours et son identité olfactive plus ”audible”. On peut également y percevoir une manière d’honorer la nature.

Qu’il s’agisse de la tubéreuse, de variantes de jasmin (grandiflorum et sambac) ou du précieux oud, les enjeux sont importants car la demande est croissante.

Matières premières polyvalentes 1 - Balades Parfumées

Les maisons de parfumerie les plus rigoureuses s’adonnent à une quête de qualité continuelle. Cette dernière va jusqu’à l’acquisition de champs dans le but d’avoir un accès exclusif et contrôlé.

Derrière le discours souvent édulcoré attribué aux matières premières, il existe des réalités importantes à rappeler :

  • Les cueilleurs et petits producteurs qui exercent dans des conditions difficiles avec une rémunération et un modèle économique qui ne leur profitent pas.
  • Le pillage fréquent dans certaines zones de production qui suscite des tensions.
  • Des matières premières qui ne sont exploitables uniquement durant quelques mois dans l’année.

Et la subjectivité dans tout ça ?

J’y viens !

  • Pendant que je vante les mérites des parfums autour de la violette, certains grimacent à l’idée de cette note.
  • Pendant que vous êtes en train de racheter la fragrance qui boost votre confiance en vous, un autre perfumista ne ressent pas d’incidence sur sa confiance en lui quand il se parfume.
  • Pendant que votre moitié se cache pour porter le parfum que vous n’aimez pas, une autre personne est sur le point de lui demander le nom de ce parfum.
  • Pendant que vous n’arrivez pas à concevoir le fait de ne pas porter de parfum plusieurs jours d’affilés, d’autres adorent se parfumer uniquement pour des occasions spéciales.
  • Pendant qu’une personne affirme que X parfum l’apaise en toutes circonstances, une autre le considère comme un parfum standard.

Nuances et subjectivité sont les maîtres mots. Si nous avons chacun notre sensibilité aux parfums, j’aimerais rappeler une chose aux plus réfractaires. Il y a toute une manière d’aborder le parfum dans la littérature, la musique (tous genres confondus), le cinéma et les séries. On lui attribue une force, un côté addictif et envoûtant dans le cadre de la séduction et des souvenirs.

Pourquoi entends-on cette phrase ?

Lorsqu’elle est dite par une personne extérieure à la communauté on peut y déceler de l’insensibilité et du désintérêt. Rien de péjoratif dans ces propos. Reconnaissons que la culture olfactive n’étant pas démocratisée, nombreux sont ceux qui ne s’aperçoivent pas du poids et de l’impact de la parfumerie.

Par contre quand elle est lancée entre aficionados du parfum, c’est souvent pour apaiser les tensions, dédramatiser et opter pour le lâcher prise face à des désaccords. Une phrase au premier abord anodine qui peut nous emmener dans bien des balades 😉 Celle-ci prend fin ici. 

2 Commentaires sur “ « Ce n’est que du parfum »

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