Au cas où vous ne l’auriez pas encore remarqué, j’ai un penchant pour les choix audacieux, faits à l’encontre des codes. Ce penchant est encore plus grand quand cela s’applique à une fragrance qui me va comme un gant.
Molinard, dès 1924, a pris les devants en honorant une nouvelle féminité alors peu représentée. Sa création Habanita est un micro parfumé tendu aux femmes qui s’assument autrement : rejet des corsets, cheveux courts et l’avènement des pantalons et jupes longilignes.
Comment Habanita a réussi à conquérir la parfumerie et traverser les époques avec une pyramide aussi intimidante ? C’est ce que je vais décrypter dans cet article.
PS : j’aborde ici la version actuelle. Le parfum a connu quelques reformulations entre temps.
Un environnement propice pour l’apogée d’Habanita
Habanita a d’abord vu le jour sous forme d’essence à cigarette. Cette essence permettait de dissiper l’odeur du tabac.
Nous sommes en 1921, époque où la cigarette n’est plus un luxe (merci à l’industrialisation) et se démocratise partout et surtout auprès des femmes. Concrètement, on fume car c’est tendance et libérateur. Au même moment, le mouvement des Garçonnes qui clame l’émancipation et l’égalité des sexes prend peu à peu de l’ampleur.
3 ans plus tard, Molinard saute le pas en commercialisant Habanita sous forme de parfum. La fragrance fait une fracassante entrée sur le marché. C’est le premier parfum féminin avec une forte présence de vétiver, alors réservé aux parfums masculins.
La maison de parfumerie choisit habilement ce qu’on pourrait aujourd’hui appelé un slogan : “le parfum le plus tenace du monde”. Slogan surenchéri par une campagne de publicités musclée.
Pyramide, évolution & performance d’Habanita
Que se cache derrière “le parfum le plus tenace du monde” ?
Les notes :
- Note de tête : géranium, lentisque & petit-grain
- Notes de cœur : vétiver, jasmin & rose
- Notes de fond : mousse de chêne, santal & ambre
Une invitation à la sensualité mais dans les règles de l’art, crescendo :
- Le vétiver et le petit-grain forgent le caractère d’Habanita, comme une manière de mieux faire entendre les différentes revendications des femmes de l’époque.
- La rose, boostée par le petit-grain et le géranium (je ne détecte pas le jasmin) s’enlace de manière candide au vétiver. Après tout, on parle quand même de féminité.
- Le lentisque (résine produite par la plante) se fait désirer en nous dévoilant ses facettes baumées beaucoup plus tard.
Habanita est tout sauf un parfum linéaire. Boisé sec et hespéridé en préambule, puis très floral pour enfin conclure sur une odeur florale plus baumée et poudrée.
Unisexe ? oui. Je le vois très bien sur un homme également.
Habanita VS Habanita l’esprit
La petite sœur d’Habanita a vu le jour en 2012. Habanita L’esprit est un flanker plus docile et musqué.
- Note de tête : citron & ciste
- Notes de cœur : mimosa, rose & heliotrope
- Notes de fond : vetiver, patchouli & benjoin
Mon interprétation d’Habanita l’Esprit : duo mimosa/héliotrope sur un fond concentré en benjoin. Le vétiver est toujours présent mais complètement adoucie par les facettes tendres et poudrées du mimosa et de l’héliotrope. L’heure n’est plus à la revendication criarde. Les enjeux subsistent mais les stratégies sont plus subtiles.
Conclusion : tout l’engouement autour d’Habanita est justifié. C’est un caméléon à l’évolution parfois différente d’un jour à l’autre et c’est ce qui fait sa beauté.